La vitalità contagiosa: Jean Piaget e Anne Ancelin Schützenberger
La vitalità contagiosa: Jean Piaget e Anne Ancelin Schützenberger ai tempi del Bulletin du groupe d’études de psychologie de l’université de Paris
En revanche, dans la note d’ouverture, Piaget réitère ses compliments à l’égard du GEPUP qui attestent de l’évolution du Bulletin en passe de devenir une revue de référence sur le plan international : « Je tiens à redire ici [...] mon admiration pour ce Groupe, pour sa vitalité, son activité, et surtout pour son excellent “Bulletin” qui est devenu, chez nous comme à Paris, un véritable instrument de travail », mot qui sera repris, nous l’avons vu plus haut, par les rédacteurs de la revue en question.
Anne Ancelin évoque le souvenir qui précise les circonstances de la livraison de ce texte intitulé Perception et intelligence :
« […] en octobre 1950, j’étais en train d’accoucher, et j’attendais des épreuves pour le Bulletin. Piaget me téléphone, en me disant : “Je devais passer, mais mon article n’était pas prêt ; je peux l’apporter ?” Je lui dis : “Mais vous savez, je suis à la clinique, en train d’accoucher”. Alors il m’a apporté ce qu’il devait m’apporter à la clinique. J’avais de drôles de coursiers ! Mais c’était une période passionnante, parce que c’était la reconstruction du monde intellectuel de Paris, en quelque sorte. La psychologie en tant que discipline, naissait ».
Le récit de ce double accouchement donne un aperçu du travail collaboratif qui unissait certains psychologues confirmés aux étudiants dans la défense de leur activité et rappelle « l’esprit de famille » régnant à l’Institut Rousseau au sein duquel évolue Piaget. Cet aspect ressort d’ailleurs clairement dans le Bulletin, lequel, partageant ce sentiment que « la psychologie [est] une grande famille », signale la naissance de la fille de la « dynamique rédactrice en chef » dans son carnet rose à côté des autres mariages et heureux événements signalés à la rédaction. Au-delà de l’anecdote, ce témoignage permet de prendre la mesure de l’engagement de celles et ceux qui ont oeuvré à la création de la revue et ainsi aidé les étudiants à s’orienter dans la nouvelle formation. Le caractère artisanal des premiers numéros est lié au contexte d’après-guerre où, du matériel au spirituel, tout manquait : chauffage, papier, locaux et même enseignants. Mais le Bulletin paraît régulièrement, et l’empressement de Piaget à remettre son texte se comprend, à une époque où le GEPUP publie jusqu’à quinze numéros par année, alors que le Journal de psychologie normale et pathologique et l’Année psychologique souffrent d’un gros retard depuis qu’ils avaient été suspendus par les Allemands. Le Bulletin vient donc combler une brèche dans cette nouvelle configuration d’après-guerre.
En quelque sorte, les anciennes revues se font doubler par la jeunesse du Bulletin qui centralise et capte les initiatives de manière proactive. De petit guide pratique pour l’étudiant, il se transforme rapidement en organe de diffusion de la recherche. C’est pourquoi il est dans l’intérêt de Piaget de figurer au sommaire de cette publication engagée dans la reconstruction intellectuelle ; tout comme il est crucial pour les étudiants de pouvoir compter sur le soutien de ce savant internationalement reconnu.